Le Mal Aimé

« Si je suis riche ? Bien sûr, très riche. Ma famille du moins. Mais les millions n'ont jamais transformé un fils de famille en champion automobile. Je pense l'avoir prouvé ! »

Elio de Angelis ? Discret, taciturne. Vous ne le verrez que peu souvent parler de la pluie et du beau temps avec ses confrères transalpins. Réaction de fils de bonne famille ? Attitude « inspirée » par son physique de play-boy qui semble vivre au soleil d’éternelles vacances dorées ? Non, même pas. Elio est l’exemple-type du pilote sérieux, hyper-professionnel. L’antithèse de Don Giovanni. Et pourtant, comme dirait notre spécialiste ès-Reutemann, Ineke Flipse, il pourrait… Aîné d’une progéniture de quatre enfants, deux frères cadets et une soeur, Elio s’est vu très tôt plongé dans cette émouvante odeur d’huile de ricin brûlée. II ne s’agissait pas de sport automobile, mais motonautique. Un sport de classe que son père, Giulio, pratique depuis de nombreuses années au creux des rades les plus « sélect » de notre pauvre globe. De toute la hauteur de ses dix ans, Elio admire et rêve. Le sport tiendra d’ailleurs une grande place dans sa jeunesse. A commencer par le ski qu’il pratique régulièrement dans le cadre du Championnat National Junior.

Remarquez bien que les études du jeune Romain n’en subissent aucune altération. La trajectoire théorique est la suivante : baccalauréat et faculté d’architecture. 

En réalité, après une année d’architecture, Elio changera de cap et s’inscrira à la faculté de Droit, préparant un examen auquel il ne se présentera jamais ! Mais l’espoir n’est pas perdu.

En cette année 72, Giulio de Angelis entretient une ambition différente pour son fiston chéri et les sports mécaniques sont de la partie. Son quatorzième anniversaire est, bien sûr, dignement fêté, avec, pour petit cadeau, un magnifique châssis de karting. Deux ans plus tard, Elio est sacré Champion d’Italie. En 1975, la célèbre Squadra Italienne écume les Championnats du Monde et d’Europe de karting. Patrese, Cheever, De Angelis… Une sacrée brochette ! Patrese est couronné Champion du Monde, De Angelis termine second. Les félicitations sont nombreuses mais les critiques ne manquent pas non plus. Comment, en effet, ne pas faire allusion au budget colossal dont dispose le jeune Elio ? La piste de Parme est trop loin ? Qu’importe, les essais privés de De Angelis Jr se dérouleront sur le circuit personnel que Papa vient de faire construire au pied de la maison familiale. Les pneus testés lors de l’épreuve du Championnat du Monde (au Paul Ricard) ne donnent pas satisfaction ? Papa se met aux commandes se son bi-réacteur et se précipite en Italie… De quoi décourager plus d’un amateur ! Mais Elio ne prend guére ombrage des critiques, poursuivant sa route. Son but ? La Formule 1, bien sûr.

« La majeure partie d’entre nous provient du karting, ce n’est pas par hasard. Son école est parfaite pour qui veut se lancer en monoplace et, en 76, j’ai franchi le pas sans hésitation ». Après quelques épreuves de Formule Italia, Elio se tourne très rapidement vers la F3. « Je me suis retrouvé aussitôt dans mon élément, à mon niveau, et j’ai d’ailleurs remporté le titre l’année suivante ». Cette même année, en 77, une Ralt Ferrari est mise à sa disposition pour la course F2 de Misano . 3e ligne de la grille, 8e place. Le petit est sur la bonne voie… Pour 1978, son ambition maladive, et consolidée par celle de son père, guide ses pas vers les boxes de Formule 1, sait-on jamais ! Mais non, il doit poursuivre son expérience, compléter ses bagages techniques et… peaufiner son pilotage pour heure encore brouillon. Souvenez-vous de cette bouillante victoire au G.P. de Monaco F3 ! Gaillard se la rappelle avec une précision inouïe… Finalement, les regards des team-managers commencent à se tourner vers lui, vers ce jeune qui allie merveilleusement bien talent et fortune. Allez donc savoir ce qui les intéresse vraiment ! L’important est que les portes de la F1 s’ouvrent. Oh, ce ne sont pas les portes des ateliers mais celles, plus réalistes, de l’antichambre ou l’on parle gros sous. Brabham est intéressé, contraint et forcé par son sponsor Parmalat, mais les tractations tournent court : on lui préfére Piquet, histoire de pénétrer le gigantesque marché brésilien. Ferrari est également intéressé, de par ses quelques courses de Formule 2 sur une bien modeste Chevron/Ferrari. Un test a lieu sur le circuit de Fiorano et De Angelis approche le record de l’époque avec l’ancienne T3. Un test somme toute positif qui laissera toutefois le Commendatore de glace. Au tour de Tyrrell, qui succombe aux conseils éclairés de son ancien pilote, Stewart. « Après avoir prouvé que J’avais la licence A, Ken m’a proposé un contrat de trois ans, allant même jusqu’à me prédire le titre mondial pour la deuxième saison. J’ai signé, on a fait la fête et, quelques semaines plus tard, il me téléphone pour m’expliquer que ce contrat n’est plus d’actualité, qu’il ne pensait pas ma licence valable pour la saison d’après. Bref, ce fut la grosse déception. »

Après ce coup dur, qu’Elio ne digèrera que difficilement, on murmure qu’Alfa Romeo serait prêt à l’engager. Fausse alerte… Faute de mieux, la seule bouée de sauvetage à laquelle l’Italien est obligée de s’agripper est celle que lui lance Don Nichols, le boss de Shadow. Dès lors, Giulio de Angelis peut dormir sur ses deux oreilles, son fils vient d’accéder au Temple Sacré dont il a toujours rêvé. Rêve coûteux ? « Mon père m’a beaucoup aidé, c’est vrai, avoue Elio, et je ne cherche pas à le cacher. Il m’a offert la possibilité de débuter sans trop de problèmes. Pour un jeune qui se lance dans cette aventure il est pratiquement impossible de décrocher un sponsor sérieux sans palmarès. Je reconnais qu’avec son aide je pouvais déjà me considérer comme un pilote professionnel, un vrai. Remarque bien que le sacrifice consenti par ma famille n’a pas dépassé une certaine limite que mon père sétait fixée ». A dire vrai, l’engagement du fiston au sein de l’écurie Shadow ne fut pas l’investissement le plus coûteux 3 000 dollars de garantie pour les huit premiers Grands Prix. Ensuite, c’était au bon vouloir du patron et le désistement de Danny Ongais ne fit que précipiter les choses. De Angelis devenait le pilote de la maison. N’empêche que les langues se délient, amenant Elio à adopter un comportement froid, distant, même et surtout envers ses propres « amis » italiens. Aide financière, jeu faussé, entend-il çà et là et cette jalousie l’agace « Le jeu est faussé ? Oui et non. Avec de l’argent mais sans talent ni motivation on ne fait pas une longue route. Hector Rebaque me donne un exemple parfait. Grâce à sa fortune personnelle il put se faire une petite place en Formule 1 mais à cause d’elle il fut incapable de prendre une décision le jour où il dut choisir entre le sport automobile et la vie facile. Je pense qu’il a accordé trop d’importance à son bien-être, à son aisance personnelle. Pour lui, le salut ne pouvait résider que dans l’abandon et son retour à Mexico. Argent et ambition sont deux contingences totalement étrangères ». La preuve ? Après avoir négocié son entrée chez Shadow il se « défonce » à longueur de saison, réussissant à décrocher le titre de meilleur rookie de l’année grâce, en particulier, à une 5e place acquise de haute lutte lors de cet épique et humide Grand Prix de Watkins Glen 79.

« Cette époque Shadow s’est déroulée de façon très drôle et bizarre, reconnait aujourd’hui Elio. Au début j’étais enthousiaste car trop heureux de débarquer en F1. En fait tout s’est passé comme avec une écurie qui n’avait pas d’argent. Quand je suis arrivé chez eux ils m’ont déballé leurs dossiers et le potentiel présenté m’a impressionné. J’ai vite compris le jour où je me suis aperçu qu’il n’y avait qu’un moteur pour les essais et la course ! C’était peut-être un bon projet mais le manque d’argent n’a pas permis de le développer aucun essai privé, aucune discussion technique sérieuse. Je me souviens que la seule modification importante fut celle de Silverstone : de nouveaux pontons.

J’ai gagné 1”5 d’un coup. Mais ce fut le seul progrès de l’année. Pourtant, elle n’était pas si mauvaise que cela, cette Shadow ! Mais quels problèmes pour la maintenir en ligne droite ! »

Heureusement pour lui, ses efforts ne passent pas inaperçus et Colin Chapman fut le premier à le reconnaître. Reutemann quitte le team Lotus avec quelques aigreurs d’estomac et le jeune Italien fait l’affaire. Le principal est là. « Une saison discrète mais non sans problème. La Lotus manque de rigidité, l’équipe manque d’unité. Moi, j’avais de grosses espérances, surtout avec ma seconde place du Brésil. Je trouvais ce début de saison divin, merveilleux. Par contre, vers la mi-saison, ces problèmes de rigidité prennent des proportions inquiétantes le châssis ne pouvait plus supporter les contraintes aérodynamiques et Chapman dut faire la plus belle marche arrière technique de sa vie. Il a alors procédé à quelques « bricolages » de fortune qui se sont avérés presque pas mauvais en fin de saison. 6e place en Italie, 4e aux USA Est et 7e position au Championnat du Monde. Nous revenions tous de très loin !»

Il y a malgré tout un petit détail qu’Elio a omis de relater comment un jeune pilote peut-il intégrer la prestigieuse écurie Lotus ? « Mon passage chez Lotus fut effectivement assez compliqué mais pas à cause de Chapman. J’étais à l’époque sous contrat Shadow, pour deux saisons (79 et 80) et il n’était pas question que je quitte Shadow au bout d’un an. Mes négociations avec Lotus ont duré très longtemps et nous sommes finalement tombés sur un accord amiable • Chapman me payait cette première saison chez lui et cet argent allait chez Shadow pour les dédommager de mon départ avant terme. En 80 je n’ai donc gagné aucune lire ! C’était la seule façon de quitter une mauvaise écurie pour rejoindre une bonne. Cette transaction m’a fait drôlement réfléchir mais j’estime que ce fut un investissement judicieux. De toute façon je n’avais plus guère le choix, Shadow ne possédait plus le moindre sou vaillant, me devant d’ailleurs quatre mois de salaire, et ne pouvait me proposer la plus petite promesse d’avenir. Cet avenir me donnera d’ailleurs raison. L’écurie disparaîtra, corps et biens. »

Elio parle lentement, pesant chacune de ses paroles, mais librement. Evoquer ces tractations ne sont que choses très naturelles. Dites-vous bien que ce genre de questions ne lui est pas étranger ! Assis sur une murette de béton, il tire avec assiduité sur sa cigarette, ne prêtant aucune attention au splendide bateau de race qui se dandine au gré du clapotis. Pourtant, au fil de cette discussion, plusieurs détails nous échappent. Comment peuvent être les relations d’un vieux loup de mer tel que Chapman et d’un nouveau venu ?

Comment peut-on consacrer un budget à ce jeune sans carte de visite professionnelle, qui plus est, très à l’aise ? « Non, non, s’insurge Elio, Chapman ne s’est pas du tout préoccupé de cette caractéristique. Il m’a payé ma première saison, rubis sur l’ongle, et ainsi que je l’ai déjà dit j’ai aussitôt endossé le chèque pour l’envoyer à Shadow. Trois mois plus tard, il me proposait le contrat 81 » Le rêve était complet, même si les relations patron-employé ne sont pas celles qu’il espérait.

« Chapman est un homme très complexe, très difficile à comprendre et, deux ans après, j’éprouve encore beaucoup de mal à le cerner. Durant l’hiver 79/80 c’était la première fois que j’adressais la parole à Maître Chapman et, pour lui, je n’étais que le 33e nouveau pilote qui débarquait dans sa propriété. Comme de nombreux et célèbres patrons de course il a vu défiler un nombre élevé de jeunes pilotes, bons ou mauvais, et je pense qu’il s’efforce à chaque fois d’élever un mur entre lui et ces « étrangers ». Il attend les preuves. A cette époque, nos relations étaient plutôt fraîches ! Le jour où il effectua son bilan il dut s’apercevoir que sa nouvelle recrue correspondait à ses espérances et, piano-piano, l’atmosphère s’est détendue. 

Il s’est humanisé, il m’a pris en considération et dès lors, je me suis consacré à la conquête du titre. Sans ses grâces je pense qu’il est inutile d’y penser. Aujourd’hui, nos rapports sont bons. Non seulement ceux de patron/pilote mais aussi d’homme à homme. Nous arrivons même à nous amuser ! Parfois ».

A cette même date, fin 80, Andretti décide de quitter l’Angleterre pour rejoindre le clan Alfa et voici notre jeune et beau De Angelis revêtu de la combinaison de premier pilote. Un départ qu’il regrette encore aujourd’hui. « C’est vrai, j’ai regretté le départ de Mario, il fut le meilleur compagnon d’écurie que j’aie jamais eu. Ou alors Jan Lammers. Quoiqu’avec Jan la situation était différente, nous étions deux jeunes sans expérience au sein d’une écurie dont nous n’attendions pas grand-chose. L’entente était naturelle. Mario n’a jamais joué le grand champion, la vedette comme il aurait pu le faire envers moi. Bien au contraire il m’a beaucoup appris du métier, perdant évidemment pas mal de son temps. Il n’était pas obligé de le faire compte tenu de l’expérience qu’il possède. Tu sais, je suis persuadé qu’il tiendrait sa place aujourd’hui encore. » Le baquet laissé vacant par Andretti ne reste guère de temps en liberté. L’heure du test-driver-maison, Nigel Mansell, est venue. Une arrivée que De Angelis n’apprécie qu’à demi durant les premières confrontations. « Nigel est un garçon très courageux et qui marche bien. La seule chose qui lui manque est la clairvoyance. Elle viendra avec l’expérience. L’année dernière il a voulu prouver ses possibilités et démontrer à tout le monde qu’il savait aller vite. Ce fut mauvais pour l’équipe car nous étions en difficulté technique. Aller vite sans chercher à régler les problèmes de mise au point ne sert strictement à rien. Au contraire, il est nécessaire d’avoir deux pilotes attentifs et constants, qui ne passent pas leur temps à attaquer dans tous les sens. Le jour où tu as analysé le comportement de ta monoplace, que les ingénieurs savent où ils en sont, tu vas très vite, de plus sans dépasser tes limites. C’était sa première année de course, faute donc pardonnable. Il a parfaitement compris. »

N’empêche que les relations Mansell-De Angelis souffrent d’une sorte de malaise depuis que les yeux de Chapman roulent de merveilleux regards vers le jeune Anglais. Fin 80, les yeux doux étaient pour De Angelis, et pas seulement ceux de Colin… Mais ce dernier sut convaincre. On augmente le salaire, on propose la place de premier pilote, on tire des plans sur la comète 88. Petit à petit l’atmosphère du début de saison change, et Colin tombe sous le charme de la 3e place de Nigel au G.P de Belgique 81 et y demeure. Même s’il s’agit de sa meilleure place à ce jour. « Quand Mario était chez Lotus, on m’a souvent demandé de lui laisser ma voiture. J’acceptais car il était premier pilote. Aujourd’hui il m’arrive de perdre mon temps aux stands, à attendre d’interminables retouches alors que Mansell saute toutes les cinq minutes de sa voiture au mulet. » Il faut se faire une raison… Finalement, si le patron n’entretenait pas cette petite rivalité et les privilèges qui l’accompagnent, Mansell et De Angelis feraient plutôt bon ménage.

Ami-ami ? Difficile à juger « Les amis ne se choisissent pas et je me demande si le milieu de la F1 est vraiment sincère. Au niveau des pilotes, car ailleurs… La vie d’un pilote est obligatoirement modifiée par la réussite. La mienne changera, c’est sûr. Je n’ai que très peu d’amis et je pense que la vie d’un champion est celle d’un solitaire, propriétaire d’une cellule personnelle étanche. » Philosophe à ses heures ? Non, en aucun cas Elio ne possède cette fibre. Tout au plus tente-t-il de se juger. « C’est encore risqué ! Mon idéal serait de ressembler à Lauda, de piloter comme lui, même s’il ne concède rien au spectacle. Sa victoire de Long Beach m’a surpris. Etonnant ! Je suis vraiment fier d’avoir à lutter contre lui à voitures égales, ou presque.

Lorsque je l’ai vu pour la première fois, il était dans une Brabham et moi dans une Shadow, j’avais du mal à m’imaginer que nous nous retrouverions un jour. Un drôle de personnage qui fait du bien à la F1. »

Mais revenons à la vie professionnelle du pilote. Au jugement qu’il porte sur les ceuvres de son boss. A commencer par la fameuse Lotus 88 à double-châssis. « C’était une voiture au potentiel intéressant mais elle fut mal développée techniquement. Je pense même qu’elle fut mal construite. Je reste toutefois persuadé qu’elle a été disqualifiée pour des raisons ridicules. Les « trucs » hydrauliques que la FISA a accepté cette même année étaient autrement hors-règlement que la 88 qui représentait une sensationnelle innovation technique. Nous n’avons jamais compris les démarches officielles et ce fut pour nous un énorme désavantage, un véritable coup dur parce que nous avons été obligés de reconstruire de nouvelles voitures. Laisser tomber le développement d’un modèle pour passer à un autre c’est perdre beaucoup d’argent et encore plus de temps. De là nous sommes donc passés à la 88B, avec sa mise au point à retardement. Regarde les voitures qui marchaient bien à l’époque : les Brabham, les Williams, des voitures possédant 2 ou 3 saisons de courses. Ce n’est pas par hasard. En gros, les défauts de cette 88B furent son poids et une vitesse de pointe bien trop faible 267 km/h ! 18 km/h de moins que la Williams, c’est incroyable. Nous n’avons d’ailleurs jamais compris pourquoi. C’était une mauvaise voiture, un enfant bâtard de la 88 né d’un accouchement douloureux. Heureusement, la Lotus 91 est une vraie Lotus, légère et compétitive. Il n’y a pas de miracle, si l’on veut suivre les moteurs turbo, nous devons avoir une voiture légère. Pour Zolder, nous sommes parvenus à une mise au point optimum qui devrait nous permettre de remporter un Grand Prix très bientôt. Du moins est-ce mon souhait… »

Concurrence moteurs turbo/moteur Cosworth, disparition totale des suspensions, poids en perpétuelle diminution, effet de sol à outrance… la performance d’une F1 ne semble plus dépendre des qualités de son pilote. Rosberg n’y va pas par quatre chemins et évalue sincèrement son rôle à 25 %, quelquefois moins ! « Keke exagère. D’accord, la part du pilote a diminué par rapport à celle de la mécanique mais elle se situe à environ 60 %. Si tu prends les dix meilleurs pilotes du moment et que tu leur donnes une voiture super, huit d’entre eux gagneront. Tu les mets dans une mauvaise voiture, ces huit monteront sur le podium après 6 mois de travail, effectuant une mise au point parfaite que j’estime indispensable pour la victoire. L’écart entre ces pilotes sera mince, l’un favorisera la vitesse de pointe, l’autre les appuis en virage mais ils gagneront. Les 60 % que j’évoque sont donc composés des 20 % dont parle Rosberg plus 40 % que je mets au compte du travail de recherche et de mise au point lors des essais privés ou officiels. Un travail capital. »

Evidemment, pour De Angelis, la réussite appelle d’autres ingrédients que l’on ne peut malheureusement pas écarter. La -qualité du matériel, de l’équipe technique, l’entente pilote/ingénieur et, peut-être est-ce le point fort de cette réussite, la motivation.

« La motivation qui m’anime pour la conquête du titre mondial est la même qui m’animait en F3 pour grimper en F1, elle s’est même modifiée, se dirigeant vers un compromis où le travail d’équipe a pris davantage de place. Aller vite ne suffit plus. »

Elio réfléchit, hésite, jette un regard panoramique sur le fabuleux décor qui l’entoure. « Se sentir bien dans sa peau fait également partie du jeu. » Et c’est là que le bât blesse. La nature lui a fait des dons admirables. Richesse, intelligence, santé, il réussit tout ce qu’il entreprend mais aucun de ses efforts n’est perçu. Même la presse spécialisée italienne semble les ignorer. Le grand regret d’Elio. L’argent ? « Oui, c’est peut-être l’origine d’une certaine jalousie. Que mes débuts aient été plus faciles que ceux d’Arnoux, je ne le cache pas mais j’ai dû faire des choses que la plupart des gens aisés auraient refusées. 100 000 dollars ne remplacent ni la motivation, ni l’expérience et ne te règleront pas ton châssis. » A moins que cette jalousie n’en soit pas une, mais plutôt cette vieille rivalité italienne qui oppose depuis des siècles l’Italie noire (celle du Nord) à celle du Sud. La rivalité Giacomelli/De Cesaris, Alboreto/De Angelis…

Bof, le sort d’un champion n’est-il pas celui d’un solitaire ? La vie continue… Partagée entre la grouillante Rome, la lumineuse Sicile et la grise Angleterre. Ski alpin, ski nautique, football, tennis, pêche sous-marine et musique. Excellent pianiste, De Angelis passe de nombreuses heures sur son clavier favori et quelquesunes de ses créations se sont transformées en agréables chansons pop dont la famille compose le seul auditoire. Dommage. La bonne table serait également un passetemps intéressant si ses répercussions n’atteignaient pas des proportions que la balance rend inquiétantes. Ah, cruels sacrifices !

La peur n’en serait-il pas un plus angoissant ? « La peur et le rêve sont intimement liés à la vie d’un pilote. Deux réalités qui existent au fond de chacun de nous. C’est humain. Je compose avec la peur car elle m’assaille après chaque faute. Quant au rêve, il m’habite aussi en permanence. Sans lui j’arrêterais de courir, dès maintenant. »

© 1982 Auto Hebdo • Par Patrick Camus • Published for entertainment and educational purposes, no copyright infringement is intended

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